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La Légende de Farnham - Version française - Chapitres 1 à 5

Posted: Wed, 7. Dec 05, 13:43
by Thoto
Bonjour à tous.

Voici donc la traduction française tant attendue de "Farnham's Legend", d'Helge Kautz. Vous pourrez découvrir un à deux nouveaux chapitres par mois, selon nos disponibilités pour la traduction.

Si vous souhaitez en discuter, apporter des corrections, etc, faites le dans le thread dédié.

La légende de Farnham
Un roman inspiré de l'Univers X, par Helge Kautz


Traduction: Thoto
Relecture: l'équipe XFrench
Bien entendu, tous les copyrights habituels s'appliquent!

Posted: Wed, 7. Dec 05, 13:44
by Thoto
Prologue
Quoi, Monsieur ? Vous prétendez permettre à un navire de voguer contre le vent en allumant un poêle sous le pont ? Je vous prie de m’excuser. Je n’ai pas de temps à perdre en écoutant de telles absurdités !

Napoléon




Le premier siècle de l’exploration spatiale s’était achevé sur une note peu enthousiasmante : quelques robots cahotants sur la surface de Mars, affublant des pierres quelconques de noms amusants, et une station spatiale obsolète s’enroulant dans une spirale fatale vers l’océan Pacifique. Une expérience controversée dans un laboratoire finlandais avait permis de réduire le poids apparent d’un objet de 0,2 pourcent. Cependant, ce résultat n’avait pas entraîné la révolution attendue dans le domaine de la propulsion, malgré les fonds colossaux investis dans les études préliminaires. Déçue, l’Humanité reporta alors son attention sur les problèmes croissants d’environnement, appréhendant le 21ème siècle dépossédée de cet esprit qui l’avait poussée sur le chemin des étoiles.

Et la situation resta telle quelle jusqu’à ce qu’un jeune génie sorti de l’Université de Tokyo réécrive les lois de la physique et permette au monde de tourner à nouveau son regard vers le ciel. Son nom : Ashizava Kazuko, le créateur du premier vortex artificiel. La technique requérait une quantité impressionnante d’énergie et déclencha la colère des plus respectables des physiciens. Cependant, elle fonctionnait. Suite à cette découverte, les progrès allèrent croissant. Un second vortex fut créé, puis lié au premier pour former un passage à travers la trame de l’espace-temps. Ensuite, de petits objets furent transportés à travers le laboratoire. Et finalement, après avoir déplacé un des portails jusqu’à Sydney avec d’infinies précautions, on téléporta un lapin avec succès. Choqué mais vivant, il devint l’animal le plus célèbre de la planète. Galvanisée par cette réussite, l’Humanité retourna sur la Lune pour y rester. Et cette fois, il s’agissait littéralement d’un tout petit pas. Un portail plus imposant fut installé dans l’orbite de Mars, et à partir de cet avant-poste, tout le système solaire fut exploré.

Cependant, les étoiles restaient hors de portée, car un portail était nécessaire à chaque extrémité du passage. En déployer un dans le plus proche système stellaire prendrait plus de deux générations. On décida malgré tout d’expédier un portail vers Alpha du Centaure. L’Humanité était à présent trop impatiente de repousser ses vieilles frontières.

Le portail était en route depuis peu lorsque les astrophysiciens remarquèrent un fait étrange: la plupart des objets auparavant catalogués comme étant des trous noirs possédaient en réalité toutes les caractéristiques de vortex artificiels. Des portails de saut extraterrestres ! La conséquence de la découverte était à peine croyable : un réseau complexe de vortex existait, et l’humanité pouvait facilement en profiter !

Une expédition à destination de l’espace interstellaire fut mise sur pied en toute hâte. Le vaisseau d’exploration planétaire Winterblossom prit son envol. En deux ans, l’équipe de 12 personnes commandée par le Capitaine René Farnham cartographia un réseau gigantesque de portails de saut couvrant apparemment toute la galaxie. Ils contemplèrent de nombreux lieux magnifiques et étranges. Mais la plus étonnante découverte fut l’absence totale de vie intelligente, même sur les planètes les plus accueillantes. On ne pouvait qu’en conclure que les bâtisseurs inconnus de ce réseau avaient volontairement construit leurs portails uniquement dans des systèmes stellaires inhabités.
C’était l’aube d’un nouvel âge qui allait changer à tout jamais la face du monde. Après avoir surmonté tant d’épreuves, l’Humanité entrait dans l’âge adulte, unie et animée par un but ultime : explorer et coloniser la galaxie.

La tâche de transformer les innombrables planètes découvertes par le Winterblossom en mondes habitable fut confiée à d’énormes vaisseaux automatisés, équipés de systèmes d’Intelligence Artificielle de pointe et dotés de la capacité de se répliquer. On les appela les Terraformeurs. Durant de nombreuses années, leur flotte suivit la directive et les colonies fleurirent dans son sillage, telles de magnifiques fleurs qui s’épanouiraient dans les rayons du soleil.

Jusqu’au désastre. Au début, il ne s’agissait que d’une erreur mineure de programmation. Mais alors que les Terraformeurs continuaient à s’adapter aux nouvelles circonstances en construisant toujours plus de leurs semblables, le défaut se propagea tel un virus, inondant leurs systèmes. Finalement, ils se retournèrent contre leurs créateurs. Ainsi débuta la terrible Guerre des Terraformeurs. Les combats prirent l’Humanité par surprise, quasiment sans défense. Les colonies tombèrent les unes après les autres, jusqu’à ce que la Terre elle-même soit frappée. Des milliards d’humain y laissèrent la vie. Les survivants, prostrés dans cet immense champ de ruines, ne pouvaient faire face à la puissance destructrice de leurs anciens serviteurs.

Mais alors que tout semblait perdu, la situation prit un tour inattendu. Un ancien pilote, Nathan R. Gunne, parvint à entraîner la majeure partie de la flotte des Terraformeurs au travers du portail de saut de la Terre. Au cours d’un combat contre les derniers survivants de la flotte Terrienne, les robots prirent pour cible le vaisseau de Gunne, le Souffle du Dragon, et le suivirent dans le portail. Lorsqu’ils eurent traversé, les vaisseaux restés en arrière détruisirent le portail pour empêcher le retour des Terraformeurs. On n’entendit plus jamais parler des 400 hommes d’équipage du Dragonfyre et des vaisseaux Terriens qui l’avaient accompagné. Ni des 150 Terraformeurs entraînés malgré eux dans le vortex.

Il aura fallu presque sept siècles de souffrance pour que l’humanité se relève de ces sombres évènements. Presque tous ceux qui ont disparu au cours de cette guerre ont été oubliés. Le nombre était si grand, la douleur si forte... Cependant, trois de ces hommes remarquables ne quitteront jamais la mémoire de l’Humanité :

* Neil Armstrong, celui qui entrouvrit les portes vers l’espace,
* Le Capitaine Farnham, qui offrit les étoiles au genre humain,
* Nathan R. Gunn, qui les lui reprit.

Posted: Wed, 7. Dec 05, 13:52
by Thoto
CHAPITRE 1er

Rien n’est plus beau, d’un bleu plus paradisiaque, couvert de nuages plus accueillants. Aucun air n’est plus doux pour mes sens submergés par les parfums. La Terre, notre seule et unique maison à tout jamais, où que nous puissions aller, aussi loin que nous puissions voyager. Permettre au Mal de s’abattre sur notre planète ? Jamais.

Dr. Elaine Sutton
Journal de bord du Winterblossom


John Friedman se reposait dans le fauteuil anti-grav du cockpit, le regard perdu dans les étoiles immobiles. Avec le propulseur coupé, seul le léger mouvement des étoiles les plus proches pouvait donner une idée de l’incroyable vitesse à laquelle le vaisseau de récupération traversait l’immensité séparant Jupiter et Mars.

Gardant la tête immobile, Friedman posa les yeux sur l’occupante du fauteuil voisin. Ayse McCallum était allongée dans la même position désinvolte, perdue dans ses pensées, fixant l’espace infini. Peut-être réfléchissait-elle au Paradoxe des Jumeaux , ou, plus vraisemblablement, pensait-elle à son grand amour, Gisbert, le seul homme qu’elle aimât de tout son coeur.

L’éclat éphémère d’une micrométéorite contre le bouclier rappela l’attention de Friedman vers les étoiles et son esprit se reporta sur l’énigme engendrée par leur vitesse.

Le Paradoxe des Jumeaux est une chose étonnante. Bien sur, il connaissait la théorie, mais le fait qu’un voyage de neuf jours paraîtrait significativement plus long du point de vue de leurs collègues voyageant plus lentement à bord de l’USC Eldridge semblait... Le meilleur terme qui lui venait à l’esprit était « bizarre ». Un témoin d’appel sur le système de communication le ramena à la réalité.
« Rii-4, répondez. Répondez, à vous. »
C’était Joseph Swartz, au centre de contrôle sur l’USC Eldridge. Sa voix paraissait discrètement altérée par une légère fluctuation de phase, causée par le système électronique de compensation Doppler.
"Hai, Rii-4 desu", répondit Friedman en japonais, prenant Ayse de vitesse alors qu’elle allait répondre. Avec un haussement d’épaule et un sourire, elle reporta son attention sur ses écrans.

Après le délai de douze secondes dû à la distance, la réponse se fit entendre : « Ok, Rii-4, nous avons terminé l’analyse de vos données télémétriques. Nous avons poussé jusqu’à douze décimales. Vous pouvez foncer sur l’objectif, on vous donnera la quantité d’énergie nécessaire à la décélération au Joule près. Et il en faudra un sacré paquet ! »
« Bien reçu, Eldridge. » Friedman ravala un jeu de mot médiocre. Swartz ne l’aurait sûrement pas compris, et ce n’était sûrement pas le moment, de toutes façons.

Ayse était déjà en train d’étudier le nouveau plan de vol affiché sur l’écran. Les trajectoires du Rii-4 et de sa cible y étaient chacune représentée par une longue droite rectiligne, un triangle de couleur figurant la position de chaque vaisseau. Les trajectoires convergeaient, à présent séparées d’à peine quelques milliers de kilomètres. Ils atteindraient le point d’interception d’ici quelques heures, après avoir parcouru plusieurs millions de kilomètres dans l’intervalle. Ayse n’avait pas besoin d’ordinateur pour prédire qu’il s’en faudrait d’un cheveu.

Soudain, elle sentit sa gorge se serrer. « John, tu as vu sa taille ? Et sa masse ? » demanda-t-elle en désignant les valeurs affichées à côté du petit triangle rouge.
Friedman acquiesça lentement de la tête. « Hai. Si seulement on l’avait en visuel... »
Ayse passa les mains sur son visage et inspira profondément. « C’est un vaisseau spatial, John. Et ce n’est pas l’un des nôtres. »
« Ca, on le savait déjà, Ayse. »

Elle acquiesça et effaça l’écran d’un geste de la main. Même au cours de l’entraînement intensif pour cette mission, elle n’avait jamais parlé à quiconque, ni même à John Friedman, de ce à quoi ils devaient s’attendre dans le pire scénario. Enfoui au plus profond de chaque être humain et transmis de génération en génération, le traumatisme était encore trop présent. Certaines possibilités étaient tout simplement trop terrifiantes.

Les dernières heures avant le contact passèrent lentement. L’ordinateur effectuait les corrections de cap et les ajustements de puissance nécessaires pour adapter leur trajectoire et leur vitesse à celles de l’Inconnu. Ayse et John regardaient les réserves d’énergie décroître en silence. Tout était dit. Les dés étaient jetés et ils le savaient.

Onze mois auparavant, les observatoires automatiques de nombreux avant-postes situés aux confins du système solaire avaient détecté une distorsion massive dans le continuum espace-temps, accompagnée d’une bouffée de radiations émanant d’un point précis. Il fut facile de déterminer sa position et d’extrapoler sa trajectoire. Tous les détecteurs de masse, détournés de leurs travaux d’astronomie dans le secret, surveillaient le cheminement de l’objet non-identifé alors qu’il fonçait vers le système solaire depuis de l’espace intersidéral. Le nuage d’Oort – repaire des essaims de comètes situé loin au-delà des planètes, à mi-distance d’Alpha du Centaure – avait un nouveau visiteur.

Sans que les stations commerciales ne le remarquent, l’objet poursuivait sa course, filant droit vers le Dispositif Expérimental QUASI, situé entre les orbites de Mars et de Jupiter, causant une inquiétude justifiée dans les milieux politiques et militaires. L’objet, probablement un vaisseau spatial extra-terrestre, représentait une menace potentielle et restait sourd aux tentatives de contact radio. Durant des semaines, il poursuivit son accélération et augmenta encore sa vitesse

Alors même qu’une mission de reconnaissance rapidement mise sur pied faisait route vers le vaisseau présumé, une puissante explosion mit fin à son accélération. Les télescopes orbitaux observèrent que plusieurs éléments s’étaient séparés de la structure principale. L’objet suivait maintenant une trajectoire erratique, tournoyant sur plusieurs axes, mais toujours en direction de la station QUASI. Il la percuterait dans moins d’un mois. La mission du Rii-4 était simple : ralentir l’objet le plus possible, et renflouer ce qu’il en restait.

Bien entendu, l’équation comportait plusieurs inconnues. Le vaisseau extraterrestre permettrait-il un renflouage ? Un renflouage quelconque était-il d’ailleurs possible ? Le vaisseau était-il habité ? Y avait-il des survivants ? Et dans ce cas, seraient-ils amicaux ou hostiles ?

Ou s’agissait-il... de quelque chose de complètement différent ?
Il fallut encore quelques temps avant que l’intrus soit visible à l’oeil nu. Sa coque sombre semblait absorber presque en totalité la pâle lueur du lointain Soleil. Quelques minutes avant qu’il ne devienne visible, ils commencèrent à suspecter sa présence à cause de la disparition des étoiles situées derrière lui.

Ayse augmenta le grossissement des jumelles électroniques au maximum, pendant que John ralentissait le Rii-4 jusqu’à environ 50 km/h de vitesse relative. La mission était d’une simplicité désarmante. Ils devaient observer et analyser l’objet à une distance respectable, et transmettre les données en direct à l’USC Eldridge. Le renflouage ne serait tenté que si tout paraissait raisonnablement sûr. Bien entendu, le temps était compté. Chaque seconde les rapprochait de QUASI à une vitesse inconcevable. Ils devraient se satisfaire du minimum d’observation.
« On dirait qu’ils ont subi une défaillance majeure. » John cligna des yeux et essaya de se concentrer sur le moniteur. Les détecteurs enregistraient une faible signature énergétique. Certains dispositifs d’urgence étaient peut-être encore actifs.
« En effet» murmura Ayse. « Mais ça aussi on le savait déjà. A sa forme, je dirai que ça pourrait être une navette. »
« Tu veux dire que c’en était une. »
« Hai. Hé ! Regarde par-là John. On dirait qu’il manque un morceau, ici. »

Le vaisseau était suffisamment proche pour que d’autres détails apparaissent. Son design était résolument aérodynamique. A peine visible, une dépression dans sa partie centrale semblait avoir auparavant accueilli une aile, indiquant son aptitude au vol atmosphérique. Tournant sur lui-même, le vaisseau révéla une arrête déchiquetée où avait dû se trouver une seconde aile.
Mais que fait une navette atmosphérique dans l’espace sidéral, se demanda Ayse. Aucune explication ne lui vint à l’esprit.
Comme s’il lisait dans ses pensées, John se tourna vers elle. « Ca n’a aucun sens. »
Ayse secoua la tête. « Aucun sens ! Ce truc peut voler dans une atmosphère, enfin, avant. Alors qu’est-ce qu’il fiche là ? Et d’abord, comment a-t-il fait pour arriver là ? »
« Aucune idée» répondit Friedman. « Mais il est hors service, maintenant.
Poursuivant sa lente rotation, le vaisseau exposa sa poupe, révélant d’autres stigmates de destruction. Toute la section propulsive avait disparu. Les détecteurs de proximité montraient des restes de métal fondu dans le compartiment intérieur, des gouttes d’alliage métallique congelées lors du désastre, dessinant de longues stalactites dans le vide froid. La coque elle-même semblait à la fois fondue et craquelée par endroit, comme si après avoir placé un morceau de plastique dans une flamme on l’avait précipité dans l’eau glacée. En dehors de l’arrête acérée où devait se trouver l’aile, aucun angle n’était apparent, ce qui donnait un aspect organique dérangeant au vaisseau. Comme s’il était vivant.
L’idée était effrayante. John l’écarta d’un frisson et d’un bon mot.
« Si Kyle était là, il nous dirait : ramassez-moi cette bouse volante ! »
Ayse eut un rire forcé. « Oui, sans doute. »
« Tu penses qu’on devrait faire quoi ? » demanda John après quelques instants.
Sa réponse fut brève : « On continue comme prévu. »

Sans surprise, l’USC Eldridge donna son accord, après le retard habituel dû à la distance entre les deux vaisseaux. Actionnant doucement les propulseurs latéraux, John rapprocha le Rii-4 du vaisseau extraterrestre qui poursuivait son lent ballet. Il s’arrêta à environ 10 mètres de sa coque.
Les détails restaient difficilement discernables : ils se trouvaient trop loin du soleil pour que la luminosité soit suffisante et Ayse hésitait à activer les projecteurs extérieurs, craignant que cela puisse être interprété comme une action hostile. Mais il n’y avait toujours aucun signe de vie dans le vaisseau, et après tout, leur objectif était de stopper sa rotation grâce à un puissant champ électromagnétique avant de débuter le renflouage. Projecteurs ou pas, leur présence passerait difficilement inaperçue. John approuva l’analyse de sa coéquipière. Ayse activa les projecteurs au minimum d’intensité, illuminant le vaisseau étranger. Galvanisée par l’absence de réaction, elle augmenta progressivement la luminosité jusqu’à ce que les projecteurs révèlent pour la première fois les détails du vaisseau dans son intégralité.
Il était singulièrement petit, à peine 20 mètres, mais ses proportions suggéraient qu’il en avait perdu quelques-uns dans l’accident. L’alliage sombre recouvrait environ les deux tiers de sa coque, depuis la proue jusqu’à l’endroit où avait dû se trouver le système de propulsion et, selon l’hypothèse de John, un réservoir de stockage magnétique matière/anti-matière ou son équivalent. Mais il abandonna vite cette idée, réalisant qu’un accident impliquant un système matière/anti-matière aurait entièrement vaporisé le vaisseau et que l’explosion aurait été visible depuis la Terre à l’oeil nu et en plein jour.
Non, quoiqu’il ait pu se passer, c’était quelque chose de bien moins puissant.

Ayse continuait à étudier l’objet, sentant confusément que quelque chose ne tournait pas rond, sans pouvoir dire précisément quoi. Un vaisseau d’un genre habituellement réservé au transport orbital, découvert dans l’espace intersidéral, voyageant quasiment à la vitesse de la lumière ? Un court instant, l’image de la Terre vue depuis l’espace emplit ses souvenirs. Elle avait contemplé le spectacle envoûtant de la planète bleue au moins une centaine de fois, lors de ses trajets en navette. Et à chaque fois, elle était émerveillée, comme si elle la découvrait pour la première fois. « John... », sa bouche lui parut soudain très sèche. « John, il n’y aucun hublot, aucune ouverture, pas même un cockpit ! »
Friedman réprima un frisson. « C’est vrai, mais ça ne veut pas nécessairement dire que... Atsui ! »
Ayse se crispa en réalisant pourquoi John avait lancé ce cri de surprise. Elle se recroquevilla dans son fauteuil, écrasée par la peur, le corps noyé sous une vague de terreur, alors que le dessous de la coque du vaisseau étranger apparaissait dans leur champ de vision, révélant un large symbole gravé dans l’alliage de l’appareil. Un dessin simple, quelques lignes pures. Presque un dessin d’enfant. John et Ayse le reconnurent instantanément.
Le blason de la Flotte des Terraformeurs.

Instinctivement, John activa les boucliers du vaisseau et parvint réprimer l’envie de lancer les propulseurs du Rii-4 et de fuir. Leur entraînement les avait préparés à cette éventualité.
Inspirant profondément, il parvint à se détendre et à analyser la situation. C’était un vaisseau Terraformeur, d’accord, mais cela ne changeait rien au fait qu’il était gravement endommagé et, de toute évidence, hors d’état de nuire. Il était crucial qu’ils restent à proximité pour terminer leur mission comme prévue. C’était même plus vrai que jamais. Ils devaient à tout prix découvrir d’où venait le vaisseau, s’il pouvait effectivement effectuer un voyage intersidéral sans portail de saut, et le plus important, de quoi il était capable. Le pire des scénarios ? Un vaisseau de reconnaissance, l’avant garde d’une immense flotte de Terraformeurs, revenus finir ce qu’ils avaient commencé cinq cent ans plus tôt et exterminer le genre humain pour de bon.
« De toutes façons, Il est hors service, non ? » demanda Ayes d’une voix creuse, voulant se rassurer. John ne répondit pas, respectant sa peur. Une peur réelle, profondément ancrée.
Ils se regardèrent un moment, puis scellèrent le casque de leurs scaphandres, comme s’ils obéissaient à une intuition commune.
Même face au cauchemar ultime de l’Humanité, les deux pilotes restèrent extraordinairement calmes. La voix d’Ayse était ferme et posée lorsqu’elle exposa la situation à l’USC Eldridge. Pendant ce temps, John terminait le paramétrage du générateur électromagnétique. Quel effet l’impulsion aurait-elle ? Elle pouvait faire frire les composants électroniques de n’importe quel vaisseau ne répondant pas à des critères de protection militaires. L’effet serait probablement le même sur l’appareil extraterrestre. Le vaisseau Terraformeur était endommagé et hors service. Les risques semblaient infimes.

L’USC Eldridge donna l’ordre de poursuivre, et Ayse retint sa respiration lorsque le champ électromagnétique engloba le vaisseau Terraformeur.
Sa rotation se ralentit, imperceptiblement au début, puis de plus en plus alors que les minutes passaient. Ayes ne cessait de songer aux implications de leur découverte. Mais c’était Gisbert qui était au centre de ses pensées. Gisbert, un biologiste océanographe, l’amour de sa vie. Il travaillait actuellement sur les jardins flottants de l’océan Pacifique, supervisant l’une des gigantesques plantations sous-marines. Elle espérait que sa longue absence n’était pas trop pénible pour lui. Gisbert était sensible et romantique, beaucoup plus qu’elle en tout cas. Elle savait que cette découverte la tiendrait éloignée de la Terre encore longtemps. Il le vivrait mal, mais elle réalisa subitement qu’elle, non. Elle aimait tant Gisbert... Mais si quelque chose menaçait la Terre, le menaçait lui, sa place était ici, pour essayer de les protéger.
Il ne comprendrait probablement pas, il se poserait sans doute des questions sur la réalité des sentiments d’Ayse pour lui, mais sa décision était prise. Elle resterait avec l’USC, même si cela devait creuser un fossé entre elle et lui. L’espace était le seul endroit d’où elle pourrait faire quelque chose.
Ayse se demandait si John partageait des pensées similaires, mais pour le moment, il était totalement concentré sur les commandes du générateur de champ électromagnétique, luttant pour stopper la rotation du vaisseau et permettre l’arrimage des pinces de remorquage.
Après cinq longues minutes, et plusieurs millions de kilomètres vers Mars, l’épave stoppa sa rotation. Elle restait là, suspendue, apparemment immobile devant le Rii-4, l’insigne des Terraformeurs face aux deux pilotes. Jadis, ce symbole promettait la prospérité, le renouveau. Maintenant, il ne suscitait plus que terreur et dégoût.

Le Rii-4 tressauta lorsque l’immense pince de remorquage se déplia à bâbord, l’air grotesque. La pince se trouvait dans l’axe des propulseurs du Rii-4, ce qui lui permettait de pousser les épaves plutôt que de les remorquer. Dans des situations moins graves, Ayse appelait la procédure « le coup de la pieuvre ». Mais pour l’instant, elle n’avait pas envie de plaisanter. Le vaisseau étranger était trop terrifiant.
Un bref éclat bleuté indiqua que les boucliers venaient d’être désactivés. Ayes se sentait mal à l’aise. La vision des tentacules s’enroulant autour du corps du vaisseau Terraformeur et le tirant vers le Rii-4 lui faisait penser à une mère retrouvant son enfant perdu depuis longtemps.
Gisbert. Un jour, ils s’étaient promis qu’ils auraient un enfant.

Un frisson de terreur lui parcourut la nuque quand les détecteurs enregistrèrent une hausse brutale et rapide de la puissance du Terraformeur, qui passa de zéro à plusieurs tera-watt en quelques secondes. Un faisceau bleu trancha sans effort les pinces de remorquage, comme un fil à couper le beurre.
« Ordinateur, boucliers ! » cria Ayse tandis que John allumait les propulseurs.
Le rayon creusa une profonde cicatrice dans la proue du Rii-4, rapide et précis, tel un scalpel manipulé par un chirurgien malfaisant. Le terrible rugissement de l’air s’échappant du cockpit réduisit les alarmes au silence alors que le laser découpait le cockpit.
Leurs casques étanches les sauvèrent de l’asphyxie assez longtemps pour que leurs réserves d’oxygène autonomes prenne le relais, mais il était déjà trop tard. Même si la proue et le cockpit avaient amorti le plus gros de l’attaque, la décharge brillante leur brûlait la rétine à travers leurs paupières closes.
Finalement, les propulseurs s’allumèrent et le vaisseau de récupération commença à tourner sur lui-même, d’abord lentement, puis suffisamment vite pour plaquer l’équipage au fond de leurs fauteuils. Déchirée entre la panique et le soulagement, Ayse priait pour être transportée loin d’ici, de cette machine. Mais en poursuivant sa rotation, leur appareil s’empala sur le faisceau mortel, le laissant pénétrer au plus profond de la coque et trancher un chemin vers le réacteur.
La dernière chose qu’elle entendit fût un grincement strident transmis à son casque par les vibrations de la coque. « Gisbert ! » Un dernier cri désespéré qu’elle n’achèverait jamais.

Lorsqu’il arriva, quatre jours plus tard, l’USC Eldridge ne retrouva que des débris, quelques fragments dérivant dans l’espace. Le vaisseau Terraformeur ne s’en était pas beaucoup mieux sorti. Deux vastes sections entourées de plusieurs fragments plus petits et facilement récupérables. Ils seraient transportés vers la face cachée de la Lune pour y être analysés en profondeur.

Au même moment, très loin de là, sur la planète Terre, un jeune homme en combinaison de plongée s’assit sur un récif au coeur de l’océan Pacifique, contemplant un coucher de soleil d’un rouge sang. Venu de nulle part, un sentiment froid de certitude emplit son esprit. Une seule larme coula le long de sa joue dans la lumière qui déclinait.
Un orage redoutable s’approchait, il le savait.
Il murmura. « Ayse, tu me manques tellement. » Il se leva, enfila son équipement de plongée, et se glissa dans l’eau. L’océan l’avala en un instant, comme s’il ne s’était jamais trouvé là. Puis la nuit recouvrit le récif isolé.

Posted: Mon, 2. Jan 06, 11:28
by Thoto
CHAPITRE 2

Et qu’en est-il des innombrables autres planètes qui pourraient exister autour d’autres étoiles ? Abritent-elles également la vie ? Si elle existe, la vie extraterrestre est-elle basée sur les mêmes molécules organiques que la vie sur Terre ? Les entités d’autres mondes ressemblent-elles à la vie sur Terre ? Ou sont-elles radicalement différentes – d’autres évolutions dans d’autres environnements ? Quelles sont les autres possibilités ?

Carl Sagan
« Cosmos »



« Sissandras ! »
La voix de Nopileos raisonnait le long des vieux corridors de la station Boron décrépie, se transformant progressivement en un chuchotement sifflant.
« Pssss, oeuf pourri », jura silencieusement Nopileos alors que son frère-d’oeuf disparaissait à l’intersection suivante sans même répondre. Pourquoi était-ce si difficile de vivre une aventure amusante avec Sissandras ou quiconque âgé de plus de 4 soleils ? Il rassembla ses affaires posées sur la table, enfournant précipitamment sa carte de crédit, son communicateur et ses nutri-packs dans un sac en polymère orange-bleu, avant de suivre son frère-d’oeuf. A peine la porte du centre de commande refermée derrière lui, il s’aperçut qu’il avait oublié de placer la station en hibernation. Les réserves électriques n’étaient pas illimitées, et il ne voulait surtout pas que tous les vaisseaux passant à moins de douze parsecs ne la détectent. Un peu agacé, il pivota sur ses griffes en un geste élégant et entra à nouveau dans le centre de commande.

La vaste salle circulaire offrait une fantastique vue panoramique sur l’espace, mais le centre de commande était dans un état pitoyable. La plupart des consoles, des écrans et des appareils de contrôle étaient détruits, et les ombres bleues subtiles du décor aquatique Boron étaient défigurées par des traces de chalumeau. La station avait été pillée, et la quasi-totalité des équipements encore fonctionnels avaient été démontés. Probablement revendus, songea Nopileos. Sinon, quoi d’autre ?

Cependant, quelques consoles fonctionnaient encore.
Des afficheurs bleus et magentas, les couleurs Borons pour « Optimal » et « Alerte », indiquaient dans l’écriture standardisée Argon que les systèmes de survie fonctionnaient à peine au-dessus des niveaux minimums. Si l’on considérait que la station lui avait été offerte, elle était en bon état !
« Les opportunités de profit à court terme se révèlent souvent être coûteuses sur le long terme. » avait objecté Sissandras. Nopileos avait choisi d’ignorer ce conseil. Un vieux Boron lui avait donné les coordonnées de la station abandonnée, ne demandant rien d’autre en échange qu’il « n’oublie jamais ses amis et alliés Borons ». Il ne s’était pas étendu plus longuement sur sa demande.

Nopileos ordonna à l’ordinateur de placer la station en veille. Tous les ordinateurs auxquels il avait eu à faire depuis son enfance utilisaient une interface vocale. Celui-ci ne faisait pas exception, mais il ne comprenait que la langue Boron. Il réalisa que la station devait dater d’avant l’adoption de l’Argon comme langue standard pour les transactions entre les deux espèces. Et cela s’était produit bien avant que les Teladis ne rejoigne la Communauté des Planètes, la Jazura 563. Il fut forcé d’entrer la commande manuellement en utilisant l’une des rares consoles encore fonctionnelles, une tâche malaisée pour une espèce pourvue de griffes, dérapant sur des claviers et des commutateurs prévus pour les tentacules plus tendres des Borons. Il espérait que Sissandras n’était pas suffisamment en colère pour partir sans lui. Il lui fallait quelques mizuras pour couper les différents systèmes, un laps de temps amplement suffisant pour que toutes sortes d’idées saugrenues traversent la tête de son frère-d’oeuf.

Alors que la station entrait en sommeil, section après section, Nopileos remarqua l’AutoCourtier? de son frère, posé sur l’une des consoles à moitié brûlées. L’avait-il laissé là délibérément, se demanda-t-il ? Nopileos inspira profondément, ses narines se dilatèrent. C’était un appareil courant. Cependant, durant les derniers quatre soleils et demi, Sissandras avait passé chaque mizura de son temps libre à développer et à améliorer son logiciel de commerce. De son côté, Nopileos avait mis ses tazuras de vacances à profit pour visiter chaque planète, chaque station commerciale, même les bases pirates et les fabriques d’armes, se tissant un réseau de contacts avec chaque personne potentiellement utile. Bien que ces activités ne soient pas inhabituelles dans la vie d’un marchand saurien Teladi, elles l’étaient certainement pour un Teladi âgé d’à peine 11 soleils, avec encore au minimum un soleil à passer dans le prestigieux Complexe d’Elevage de Company Pride.
Son dernier « coup », probablement le plus réussi, avait consisté à lancer une rumeur concernant un « Profiteroïd », un astéroïde composé à plus de 90% de nividium. Il avait appris l’histoire de la bouche d’un pirate Argon ivre mort, et n’en avait bien sur pas cru un mot. Toutefois, répandre la légende à travers son réseau de contacts Teladis cupides, à la recherche incessante de plus de profit, l’avait beaucoup amusé. Sa crête se redressa joyeusement à ce souvenir. Sur un coup de tête, il ordonna à l’AutoCourtier? de Sissandras de se concentrer sur l’industrie du Nividium. Lorsque la dernière section fut en veille, Nopileos attrapa son sac et rejoignit son frère-d’oeuf à la navette.

« Tu sais, cher collègue », commença Sissandras alors que la sombre spirale de la station boron disparaissait parmi les étoiles. « Je regrette que tu ne fasses pas preuve de plus d’enthousiasme concernant les buts de la Corporation Teladi. »
« Oh, mais je prends ces choses très au sérieux, cher frère, » répliqua Nopileos, « vraiment très au sérieux ! » Sa crête frémit, mais il se retint.
« Regarde autour de toi. » Il désigna la vitre du cockpit d’un large mouvement et Sissandras tourna la tête vers l’extérieur. « Que vois-tu autour de nous, cher frère ? »
« Le profit, » répondit instantanément Sissandras, il reporta son regard sur les instruments de bord.
« Une quantité de planètes où les Teladis n’ont jamais posé la griffe, » continua Nopileos, « des races encore inconnues... »
« Des sources de profit, » insista Sissandras.
« Le secret des portails de saut ! »
« Qu’est-ce qui te semble si mystérieux dans les portails de saut ? » ironisa Sissandras. « Tu les traverses, et hop ! tu es arrivé à destination. »
Les narines de Nopileos se dilatèrent sous l’effet de l’indignation. « Mon frère, ton imagination atteins un degré proche du zéro absolu. »
Sissandras ajusta la trajectoire de la petite navette, prenant une route plus sure et plus rapide pour retourner au complexe d’élevage avant de répondre à Nopileos.
« Je ne vois pas pourquoi je devrais en avoir honte, et je te prie de cesser de m’appeler ‘frère’, cher collègue.»

Nopileos ne releva pas. Il se rassit et ferma les yeux, perdu dans sa réflexion. Pas étonnant que sa race soit taxée de grognon, lente et ennuyeuse par tous les autres membres de la Communauté des Planètes. C’était à cause de leur état d’esprit que les Teladis avaient été la dernière race à rejoindre cette fédération. Une organisation qu’ils nommaient eux-mêmes la Guilde du Profit, rabaissant ainsi les aspirations de plusieurs centaines de milliards d’êtres vivants au niveau matérialiste des Teladis. Les crédits à gauche, les revenus à droite, et les stocks derrière. La seule aventure que s’autorisaient les Teladis, c’était de remplir leur fiche d’imposition. Excitation garantie pour toute la famille - non, pour tout le ‘département’ se corrigea-t-il - une fois par soleil.

On considérait que la race Teladi était naturellement lente et étroite d’esprit, mais Nopileos en doutait. Après tout, il existait des aventuriers chez les Teladis – les soldats, les explorateurs, les scientifiques. Pour être tout à fait honnête, on ne se battait pas vraiment pour embrasser ces carrières, et la plupart des volontaires pensaient surtout à augmenter leur richesse matérielle. Mais cela prouvait que les Teladis pouvaient faire preuve d’autres talents que de gagner des crédits. Ils pouvaient être bien plus qu’un excellent courtier, marchand ou secrétaire général d’entreprise !
Et le plus grand de tous les obstacles entre lui et une vie d’aventurier était gravé dans son nom : Isemados Sibasomos Nopileos IV. Etre le petit-fils d’Isemados, le grand PDG de la Compagnie Teladi, avait ses avantages. Mais ce nom apportait avec lui son lot d’obligations et, pire encore, d’attentes.

Ses Ancêtres-d’oeuf auraient certainement été surpris, voire même amusés, de voir qu’il était le plus brillant des étudiants que le complexe d’élevage de Company Pride ait jamais produit, distançant même largement son frère-d’oeuf, Sissandras, également très doué. En dépit d’une fâcheuse tendance à s’endormir en classe, il ne pouvait s’empêcher de perturber les cours. Il connaissait parfaitement le programme et adorait pousser ses professeurs au-delà de leurs limites en leur posant des questions extrêmement pointues. A un moment donné, entre son cinquième et son sixième anniversaire, ses camarades-d’oeuf avaient commencé à l’éviter. Bien avant cela, ils lui avaient fait subir de nombreuses plaisanteries. Des plaisanteries Teladis.

La crête de Nopileos jaillit avec amusement alors qu’il se remémorait combien de fois ils avaient échoué. Une fois, alors qu’il dormait en cours, ils étaient même allés jusqu’à coller sa carte de crédit sur son banc à l’aide de colle à adhésion quantique. Tout autre Teladi en aurait été outragé. Pas lui. Amusé, il leur avait juste demandé s’ils espéraient qu’il emmène la carte et le banc à la banque.
« Tss ... sssssk », soupira Nopileos, glissant dans une douce torpeur, bercé par le lointain ronronnement des moteurs.

Posted: Thu, 2. Feb 06, 14:09
by Thoto
CHAPITRE 3

Pour autant que les lois mathématiques se réfèrent à la réalité, elles ne sont pas avérées.
Et pour autant qu'elles soient avérées, elles ne reflètent pas la réalité

Albert Einstein


L’homme plein d’énergie sifflotait un air joyeux en sortant du bungalow qui lui avait temporairement servi de domicile ces derniers jours. Il portait l’uniforme bleu clair de l’United Space Command, un écusson représentant une version stylisée de l’homme vitruvien de Léonard de Vinci sur l’épaule droite. Le blason de l’USC avait été choisi pour symboliser l’exploration pacifique de l’espace au nom de toute l’humanité, mais aussi la vigilance et la sécurité aux confins du système solaire.

La barbe de deux jours et les cernes sous les yeux le faisaient paraître un ou deux ans plus vieux que son âge, mais elles pouvaient tout aussi bien venir de quelques nuits pauvres en sommeil. Malgré cela, il y’avait une énergie certaine dans sa démarche alors qu’il traversait la route pavée de simples pierres. Le chemin était déjà recouvert d’une fine couche de sable rouge déposé par la brise matinale. Le vif éclat du soleil l’ébloui brutalement. La lumière lui déclencha une démangeaison désagréable dans les narines. Clignant des yeux, il éternua.
« A tes souhaits, Kyle ! »
Kyle William Brennan regarda autour de lui en se frottant furieusement le nez.

Elena Kho éclata de rire, appuyée sur le chambranle de son propre bungalow. Au contraire de Kyle, elle portait une tenue légère, adaptée à cette chaude journée d’hiver Australien qui s’annonçait – des sandales, un short en jeans à franges et une chemisette nouée au niveau de la taille, découvrant son ventre musclé. « Avez-vous bien dormi, Capitaine ? » demanda-t-elle en protégeant ses yeux du soleil alors qu’elle contemplait le grand lac salé. On ne voyait de l’eau au lac Eyre qu’à quelques reprises par siècle, et c’était le cas cet hiver. La vue du spectacle fantastique des innombrables oiseaux, principalement des pélicans et des flamands roses, était un rare privilège. Ils se tenaient en groupes, perchés sur une patte, se disputant la nourriture et s’affrontant pour s’accoupler. Une myriade de ballets de séductions soulevait des gerbes de gouttelettes d’eau au milieu des plumages plus extravagants les uns que les autres. Les combats rituels emplissaient l’air d’une intense cacophonie de cris, malgré les trois kilomètres qui les séparaient des oiseaux. Heureusement pour le personnel de l’USC et son sommeil, les oiseaux restaient pour la plupart étonnamment silencieux dès le coucher du soleil et durant toute la nuit.
« Merci, Major, » répondit Kyle, alors qu’Elena s’approchait. Kyle la contempla ostensiblement, émettant un sifflement exagérément admiratif. C’était un jeu entre eux, et bien qu’elle ne se prenne pas réellement au sérieux, Elena savait qu’elle avait de l’allure. Elle n’était pas spécialement petite – un mètre soixante-dix. Bronzée, les muscles biens dessinés de quelqu’un qui se maintient en forme, elle n’entrait pas vraiment dans la catégorie « frêle femme sans défense ». Son visage arrondi était encadré d’une chevelure noire épaisse et lisse, jusqu’aux épaules et qui capturait les reflets du soleil. Ce qui attirait certainement le plus le regard chez elle, c’était ses yeux en amande, d’un marron sombre et intense. Ils brillaient d’une énergie intense, pleins de curiosité et de la pure joie de vivre qu’elle répandait partout autour d’elle. Elena était d’origine Asiatique, presque un stéréotype, sauf en ce qui concernait sa taille.

« Espèce de Don Juan, » lança Elena, Lin pour ses nombreux amis. Elle sourit à l’accolade virile de Kyle. Elle n’était arrivée que tard dans la nuit précédente au CRAPSA, le Complexe des Recherches Avancées et des Projets Spéciaux en Astronomie du lac Eyre. Le briefing interminable lui avait laissé juste assez d’énergie pour un bref salut à Kyle avant de rejoindre ses nouveaux quartiers et de sombrer immédiatement dans un sommeil profond et sans rêve. « Ca fait un sacré bout de temps, mon vieux, » lança-t-elle en se reculant et en lui rendant son regard admiratif. Kyle William Brennan, « Billy » pour les intimes, les cheveux sombres coupés très courts à la mode militaire, les yeux bleu-gris et un sourire de jeune rebel. Sa mâchoire semblait avoir été sculptée dans le roc et son uniforme mettait en valeur ses larges épaules. Son physique paraissait presque trapu bien qu’il mesurât plus d’un mètre quatre-vingt.

Elena tenta d’imiter son sifflement contemplatif, mais ne parvint qu’à émettre un souffle assourdi qui se transforma vite en éclat de rire. « Je pense que je n’arriverai jamais à siffler correctement. » Elle sourit.
« C’est ça qu’il te manque, » expliqua Kyle en montrant le léger espace entre ses deux incisives supérieures. « Tout est dans la dentition. On se fait un petit-déjeuner à la cantine ? »
« Absolument ! Je meurs de faim ! » répondit-elle en se frottant l’estomac. Elle n’avait rien avalé depuis la veille dans l’après-midi, à bord du vaisseau de ligne. Elle avait osé espérer qu’ils auraient le temps d’un petit-déjeuner tranquille. Le briefing final devait commencer à 10 heurs 00 et il était prévu qu’il dure jusque tard dans la soirée. Où avait-elle mis son bracelet électronique ? Probablement quelque part dans son bungalow. « J’espère qu’il nous reste assez de temps pour aller manger, » dit-elle. « Quelle heure est-il, Kyle ? ».
Il passa la langue sur son index et le dressa dans le vent. « Il est dix heures moins, ouille ! »
« Déjà dix heures moins ouille ? » grimaça-t-elle en pinçant à nouveau son collègue de longue date, et néanmoins meilleur ami. « Je suis contente que tu sois là, Kyle, » continua-t-elle. « L’Amiral Morrisson est quelqu’un d’assez facile à vivre, mais il est incapable de plaisanter, même si sa vie en dépendait. » Elle attrapa Kyle par le bras et accéléra le pas. « On se bouge, soldat ! On perd notre temps ici ! »
« Tu ne devrais pas fermer ta porte avant ? » répondit Kyle en indiquant à Elena la porte béante de son bungalow.
Elena prit un air mi-figue mi-raisin. « Ahhh, les gars sous-payés de l’équipe de commandement recommencent à dévaliser les pauvres gens ? Oh, je suis sûre qu’ils n’attendent qu’une occasion pour me piquer mon sac à main et mon portefeuille. Et après, ils iront revendre mes petites affaires à un magasin de souvenirs d’Adélaïde. »
« Je n’exclue pas cette possibilité, » grimaça Kyle.
« Attend une minute. » Elle se précipita vers son bungalow. « J’ai un truc pour toi, ça vient d’Europe ».

Elle réapparut un instant plus tard, ferma sa porte à clé et s’approcha de Kyle en dissimulant quelque chose dans sa main droite. « Ferme les yeux et tends les mains. »
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Kyle, palpant l’objet. C’était une petite sphère, à peu près grosse comme une demi-balle de tennis, et très lourde, beaucoup trop pour sa taille. Sa surface était incroyablement soyeuse et fraîche au touché. Et cependant, Kyle ressentait en même temps une sorte de chaleur étrange, transmise directement à l’intérieur de ses doigts de façon inexplicable.
« Tu peux regarder. »

La sphère avait un éclat merveilleux, un mélange complexe de nuances de bleu et de blanc. Elle ressemblait à une pièce de marbre à la surface de laquelle les couleurs ondulaient en formant de petits tourbillons. Alors qu’il la contemplait, des contours verts et bruns apparurent. Il réalisa qu’il tenait une réplique miniature dynamique de la Terre, couverte de nuages en perpétuel mouvement, presque vivante, telle une créature magique dans un monde fantastique.
« C’est très beau, Elena ! »
Elle sourit. « Maintenant, lâche-la. »
Kyle laissa la sphère rouler doucement vers l’extrémité de ses doigts. Elle tomba lentement sur quelques centimètres, comme si elle s’enfonçait dans du coton, puis s’éleva jusqu’au niveau de son visage et commença à tourner sur elle-même, lentement, majestueusement.
Elena regardait, fascinée. « Maintenant, » murmura-t-elle, presque pour elle-même, « dis le nom d’une planète. N’importe laquelle. »
« Mars, » énonça-t-il, sans réfléchir.
La sphère s’immobilisa un instant, puis, lentement, elle se mit à tourner dans l’autre sens et les nuances bleues et blanches prirent les couleurs rouges et orangées reconnaissables entre toutes. La Planète Rouge était suspendue devant lui.
« Waouh ! » Stupéfait, Kyle parvint à demander, « Et... est-ce que... Jupiter ? »
La sphère se métamorphosa à nouveau, sembla devenir quatre fois plus grosse et se couvrit de la parure ocre rayée de nuages de Jupiter, la tempête géante perpétuelle de son fameux point rouge s’enroulant sous ses yeux.
« L’échelle n’est pas bonne, » fit-il observer. « Comparée à Mars. »
« Elle serait correcte si tu reculais un peu, » répondit Elena. « Les jouets morphing font fureur en ce moment. Extra, non ? »
Kyle acquiesça. « Qu’est-ce qu’elle peut faire d’autre ? » demanda-t-il en la touchant avec la main. La surface restait totalement lisse, plus soyeuse que tout ce qu’il avait jamais touché, il n’y avait presque aucun frottement, mais toujours cette sensation à la fois fraîche et tiède.
« Toutes les planètes, les lunes les plus intéressantes, quelques comètes, le soleil, le ciel nocturne depuis différents endroits, des vues sous-marines de la Terre et de Titan. »
« La lune », énonça Kyle. Il regarda la sphère modifier à nouveau sa taille et sa couleur et saisit la sphère suspendue dans l’air. « Ca a du coûter cher. » Il contemplait le satellite posé dans la paume de sa main et ressenti une étrange sensation de toute puissance.
« C’est un ami à moi qui l’a construite. Gisbert, je pense que tu le connais. Le grand amour d’Ayse McCallum. » Elle prit sa main et la referma doucement sur la sphère. « Il l’a créée spécialement pour l’homme qui va nous ramener vers les étoiles. Il l’a faite pour toi, Kyle. »
« Mais... » Kyle se sentit soudain sans voix. « Je ne suis qu’une espèce de cobaye. Je... Je dois l’appeler et le remercier pour ce cadeau fabuleux. »
Elena le regarda de ses yeux profonds et lui prit le bras à nouveau. « Tu ne peux pas Kyle, il est mort accidentellement en haute mer il y’a plus de deux ans. Sa mère m’a donné la sphère la semaine dernière avec un message pour celui d’entre nous deux qui serait choisi. Tu veux l’entendre ? »
Kyle hocha la tête.
Elle effleura son bracelet électronique, qu’elle avait récupéré dans son bungalow. Le message commença.

« Je veux croire que la mort d’Ayse n’aura pas été complètement vaine. Je veux croire qu’elle nous aura aidé à rouvrir la porte vers les étoiles. Je veux croire qu’elle a montré le chemin à l’humanité, pour qu’elle fleurisse à nouveau, sans commettre les mêmes erreurs. Où que tu ailles, et quoi que tu fasses – Lin ou Kyle -, que ton cœur te guide, et pas la logique stérile des machines. J’ai créé cette sphère pour que tu portes toujours avec toi le souvenir de là d’où nous venons. Garde-la toujours avec toi et ramène la saine et sauve sur Terre, en paix, un jour. »

Posted: Tue, 14. Mar 06, 13:14
by Thoto
Chapitre 4

Martinus Sandas est un plouc. Et en plus, c’est un fanatique. Dans un an, tout le monde l’aura oublié.

Nyana Gunne
Année 205 bzt.


Nopileos s’installa sur sa couchette, adossé au mur, les griffes confortablement posées sur l’humidificateur. La barre de titre de son lecteur de poche affichait, en caractères sinistres, le nom d’un roman d’aventure : « La station Antigone ne répond plus ». Une histoire pleine d’action, franchement antimilitariste, racontant la vie d’un couple-d’oeuf Argonnien au cours du Conflit Xénon, vers l’année 214.

Nopileos porta un regard absent par dessus son lecteur, contemplant le Nid-d’Oeuf, le grand dortoir communautaire que ses collègues et lui utilisaient pour se reposer et se détendre entre les cours. Il se demandait ce que pouvait être un « couple-d’oeuf » exactement. D’après ce qu’il savait, les Argonniens n’étaient pas ovipares et ne se reproduisaient pas grâce à des oeufs, contrairement à sa propre espèce. Peut-être était-ce la traduction en Teladien qui manquait de précision.

Il reporta son attention sur la fenêtre. C’était une matinée splendide, comme la plupart des matinées au Complexe d’Elevage, d’ailleurs. Boule de Platine, la septième planète du soleil de Compagnie Prise, le siège du célèbre Complexe d’Elevage de Compagnie Prise, et l’un des plus beaux endroits dont puisse rêver un Teladi. Malheureusement, à part sa beauté, la planète était totalement inutile, en l’absence de toute ressource naturelle et de toute faune locale. En fait, même l’athmosphère était fabriquée par de gigantesques convertisseurs de gaz enfouis sous la surface, aux deux pôles, et construits par des êtres mystérieux dans un lointain passé. Et malgré cela, bien qu’ils aient occupée la planète depuis plus de trois douzaines de soleils, aucun Teladi n’avait jamais eu l’idée d’explorer les pôles. Au lieu de cela, ils avaient noté avec surprise et satisfaction que les Argonniens semblaient avoir une idée du paradis assez similaire à celle des Teladis – une bien étrange observation, en vérité !
Un bel océan bleu couvrait 80% de la planète, quelques îles de taille moyenne éparpillées ici et là. Le reste était couvert par un petit continent nommé Holmaseos, une enclave Teladi où se situait le Complexe d’Elevage, et le grand continent d’Ebelon, dévolu aux loisirs. Chaque année, Ebelon était envahi par des millions d’Argonniens en mal de distraction – une source de profits inespérée qui avait valu un siège au Comité de Direction Teladien à celui qui avait découvert la fibre touristique des Argonniens.

Nopileos renifla avec surprise quand son lecteur lui sauta au visage et frappa son museau.
« Bonjour, cher collègue ! »
Il leva les yeux et vit Hegebalios qui le regardait, la tête inclinée sur le côté et la crête relevée en signe d’amusement. La crête d’Hegebalios était d’un vert lumineux, ce qui était une source permanente de moqueries et le plaçait lui aussi dans une position de solitaire.
« Quoi de neuf, mon ami ? » demanda-t-il en guise de salut.
« Oh, tu sais, les premiers cours qui suivent une wozura de travaux pratiques sont toujours les pires. Mais le prochain cour va bientôt commencer. Gestion financière et Science du Profit. »
Nopileos soupira bruyamment. Il ne pouvait imaginer de sujet plus ennuyeux !
« Tiens ? On n’avait pas Histoire et Soins à la Couvée, normalement ? »
« Si, mais ces cours ont été annulés à cause des événements récents. De toutes façons, les Soins à la Couvée, c’est complètement nul. Et je ne parle même pas de l’Histoire ! »

Nopileos s’essuya le nez avec la langue. Il trouvait que discuter avec ses collègues de quels sujets étaient ennuyeux et inutiles ne servait à rien. Et ce d’autant plus que les professeurs paraissaient eux-mêmes s’ennuyer beaucoup quand il s’agissait de donner ces cours. Nopileos avait entendu plusieurs fois les professeurs affirmer quelque chose d’inexact, mais il s’était vite rendu compte que ses corrections n’intéressaient personne.
« Quoi de neuf ? » demanda-t-il en essayant de paraître intéressé.
Hegebalios écarta les griffes, reliées par des reliquats membraneux, dans un geste d’incertitude.
« Je ne suis pas complètement sûr – c’est comme si une vraie tempête s’annonçait sur le marché de la bourse. »
« Oh là là, mais c’est terrible ! » commenta Nopileos, laissant délibérément paraître un ennui profond dans sa voix.
« Tsss-shhh-hh », siffla Hegebalios. « Nopileos, tu es un incorrigible ignorant. Tu viens ? »

Nopileos jeta un coup d’oeil rapide sur son lecteur avant de l’éteindre, se leva et suivi son collègue. Il savourait la dernière phrase du roman en marchant péniblement face aux réalités de la vie :
« Nyana, mon coeur t’appartient pour toujours. Ma vie est vide sans toi, et personne d’autre que toi ne pourra jamais l’éclairer. M’attendras-tu ? Promets-moi que tu m’attendras ! » L’image tremblota sur le petit écran à cause des interférences causées par le tir des lasers. Mais Martinus aperçu tout de même la larme qui coulait sur le visage de son bel amour. »
« Pour toujours, mon amour », murmura-t-elle.
Une explosion de lumière illumina brièvement le ciel nocturne, aveuglant temporairement Martinus. Une fois que ses yeux se furent réhabitués à l’obscurité, il contempla l’écran. Mais il n’affichait que de la neige. Son coeur comme pris dans un étau, il sentit son sang se glacer. Il resta paralysé et silencieux, le temps était comme suspendu.
C’est seulement lorsque l’aube apparu qu’il coupa son communicateur et le glissa dans sa poche. Perdu dans ses souvenirs, il sortit dans le froid de l’hiver d’Argon.

Posted: Mon, 30. Oct 06, 11:43
by Thoto
Chapitre 5

L’Humour, l’intelligence, l’imagination et l’amour sont des facultés intrinsèquement liées. Elles n’apparaissent pas par hasard, et n’émergent pas du néant. Elles constituent la quintessence des qualia. Chaque être humain en possède une part, chaque créature consciente de l’univers également, peu importe où, quand et dans quelles circonstances elle existe.

Carta Frends
Historien Argon, 174-214 bzt.



« Il y’a sept ans, » concluait l’Amiral Molander, quatre heures plus tard, « le vaisseau de renflouage Rii-4 a pu capturer, au prix de deux vies, un vaisseau spatial fortement endommagé après son arrivée dans le système solaire. Il s’agissait d’un vaisseau Terraformeur équipé d’un moteur interstellaire capable de fonctionner sans portail de saut. Nous sommes pratiquement certains qu’il s’agissait d’un prototype et qu’il a émergé dans l’espace normal à proximité du synchrotron QUASI suite à une défaillance ou à une erreur de calcul. » L’Amiral Molander inspira profondément et attendit que les images du vaisseau récupéré disparaissent de l’écran géant devant lequel il se tenait. La dernière image montrait l’installation du QUASI.

Kyle lança à Elena un regard peiné. Ces faits étaient connus de tous depuis des années. Les ressasser encore une fois était inutile. Surtout de cette façon particulièrement longue et détaillée, débitée à toute vitesse par l’Amiral, comme si quelqu’un le poursuivait. Elena leva discrètement un doigt à son intention. Ils étaient amis depuis longtemps, et à ce signe particulier, il comprit qu’elle lui demandait d’avoir encore un peu de patience et qu’elle allait bientôt prendre la parole pour ajouter de nouvelles informations importantes.

Il se força à recentrer son attention sur l’Amiral.
« Nous sommes relativement sûrs que le vaisseau Terraformeur n’est pas parvenu à lancer d’appel de détresse avant que nous le désactivions. Selon les données de la science actuelle, les communications à vitesse supra-luminiques sont impossibles, comme vous le savez.. » L’Amiral lança un coup d’oeil rapide sur l’assistance. « Nous croyons également qu’il n’y pas de danger imminent d’attaque de la part des Terraformeurs. Selon nos dernières découvertes, l’arrivée de ce prototype constitue un accident. Nous avons donc pensé préférable de ne pas avertir le public pour éviter un mouvement de panique généralisé. Toutefois, nous avons enclenché un programme visant à reconstruire et à améliorer le principe du moteur de saut sans portail. Le désassemblage des restes du vaisseau Terraformeur nous a été précieux. »

Sur ces mots, l’Amiral fit un léger signe de la tête à Elena qui le rejoignit rapidement et se tourna vers l’assistance.
« Je vais essayer de faire court », commença Elena. « Nous connaissons les faits, la mission est définie. Le Capitaine Brennan – elle désigna Kyle d’un hochement de tête – a été parfaitement entraîné pour faire face à n’importe quelle éventualité. » L’écran géant afficha un gros appareil spatial à l’air préhistorique en orbite autour d’une petite lune verte accrochant le soleil lointain. La coque du vaisseau semblait vieille, corrodée, et la peinture blanche semblait écaillée. Seul le symbole de l’USC étincelant sur le flanc du vaisseau paraissait neuf.

Un murmure s’éleva des quinze officiers qui regardaient l’écran lorsqu’ils reconnurent l’appareil. « Bon d’accord. Oui, c’est un vieux modèle, et il aurait du tomber en pièces il y’a un siècle. Un Jupiter B, Série 1, l’un des 7 exemplaires construits – qui sont encore tous en service. Cet appareil est en service actif depuis 130 ans. Son nom : Getsu Fune – ou vaisseau lunaire. Et oui, c’est bien Io que vous voyez en arrière plan. C’est de circonstance, non ? » Elle fit une pause pour permettre au groupe d’assimiler l’image suivante. On y voyait une auréole de lumière bleutée. Une forme floue semblait en émerger. C’était la silhouette du Getsu Fune, visiblement photographié volant à une vitesse immense.

« Le vaisseau est équipé du premier prototype de Moteur de Singularité à effet Tunnel Quantique. Pour éviter d’avaler notre langue, nous l’appelons juste moteur de saut. Jusqu’ici, le Getsu Fune a réalisé avec succès plus d’une douzaine de saut à une distance de deux heure-lumières. Messieurs, je ne souhaite pas plus que vous entrer dans les détails. Je ne suis pas physicienne, et vous en savez tous plus ou moins autant que moi à propos de ce mode de déplacement. Pour faire court, le moteur crée une singularité qui reste stable quelques nanosecondes. Ce laps de temps est suffisant pour que le vaisseau soit propulsé via l’hyperespace jusqu’à sa destination, instantanément. Le procédé est totalement sans danger pour les êtres humains. Du moins, c’est ce qu’assurent nos instruments. »
Kyle la gratifia d’un sourire grimaçant digne d’une bande dessinée. Comme il était au premier rang, personne d’autre ne pouvait le voir. Elena parvint à s’empêcher de lui rendre la pareille.
« La mission de demain du Capitaine Brennan sera d’introduire quelques kilogrammes de chair dans la théorie. »

L’affichage changea à nouveau pour montrer un autre vaisseau. Une navette de taille moyenne, moderne, et capable de vol atmosphérique. Seul une protubérance longitudinale accolée à la soute et courant tout le long de la coque le distinguait du modèle standard. « Nous avons du retirer les systèmes de survie du Getsu Fune pour pouvoir y loger les instruments de mesure. Le Capitaine Brennan pilotera donc ce vaisseau-ci pour la mission. Je suis sûre que ce petit bolide collera mieux à son charme de playboy. L’assistance éclata de rire. Même l’Amiral Molander laissa filtrer un sourire.
« Et au fait, nous avons fait relativement simple concernant le nom de baptême de ce vaisseau. L’idée de l’appeler simplement X est venue des scientifiques civils, pas des militaires. Vous vous doutez que l’affaire a été rapidement entendue. »

Les spectateurs sourirent à nouveau et Elena jugea à leurs visages détendus qu’ils s’étaient suffisamment remis du traumatisme causé par le briefing de l’Amiral pour digérer une analyse plus détaillée. Durant les quinze minutes suivantes, elle détailla les modifications structurelles entreprises sur l’X et reprit point par point les différentes étapes de la mission de vol du lendemain.

Kyle écoutait attentivement, absorbant chaque détail. On avait ajouté un petit bouclier déflecteur et un laser à ce vaisseau normalement désarmé. Il se demanda ce qu’ils pensaient qu’il trouverait à combattre durant ce court voyage de deux mois-lumières dans le vide interstellaire. Il ne rencontrerait rien ni personne sur le trajet, absolument rien sur quoi l’on puisse tirer. Il se dit que c’était sans doute parce que les militaires ne voyageaient jamais sans une arme, quelle qu’elle soit. Bon Dieu ! Il connaissait même certains officiers qui auraient conduit leur grand-mère en char d’assaut à leur partie de bridge si le code de la route ne l’avait pas interdit. Et puis... après tout, il était militaire lui-même, alors ça n’aurait pas dû l’étonner outre mesure. Il se surprit à sourire tandis qu’Elena concluait le briefing.